jeudi 19 février 2009

G.O Chateaureynaud, pour Le Point, 10/2007

Holden Caulfield à Ecorcheville

L’Autre rive, de George-Olivier Chateaureynaud. (Grasset, 647 pages, 22,90 €)
Bienvenue à Ecorcheville. Le bout du monde ; le dernier endroit où l’on puisse aller sans tomber de la Terre. Là bas, les gratte-ciels sont presque vides, des machines à se suicider proposent leurs services pour dix euros et la cathédrale ressemble au château de la sorcière de Blanche Neige. Il pleut des salamandres, on croise des monstres, des centaures, des hommes oiseaux, des satyres, et la sirène Ligée, qui nage inlassablement dans son aquarium tropical, pendant que trois dynasties, les Propinquor, les Bussettin et les Esteral se disputent le pouvoir. La nuit, à Ecorcheville, Charon le passeur réclame l’obole aux âmes affranchies, et le fleuve Styx charrie de nouvelles créatures, mortes ou vives. Drôle d’endroit pour avoir 17 ans. Drôle d’endroit pour devenir quelqu’un. Orphelin adopté par une chirurgienne-avorteuse-embaumeuse avare en affection, recherchant désespérément son père et ses origines sur les corniches de cette Riviera délabrée, Benoît Brisé porte trop bien son nom. Ses amoures à sens unique, sa « non appartenance » à aucun des trois clans dirigeants, ses amitiés fragiles avec Onagre, Cambouis et F.deP. (Comprendre « Fille de Personne »), font de lui un paumé magnifique, en quête, toujours, de sa place dans l’univers. Avec ses problèmes d’adulte et ses griffes aux genoux, Benoît Brisé a des airs d’Holden Caulfield en cavale. Quant à Ecorcheville, ça pourrait bien être la New York de Salinger, le Paris de Gavroche, le Londres d’Oliver Twist ou n’importe quelle mégapole, pourvu qu’elle soit furieuse, excitante, trop grande pour les adolescents solitaires. Mêlant magie et réalisme avec une facilité déconcertante, Chateaureynaud use une fois encore de cette Faculté des songes qui, à grands coups d’extraordinaire, enseigne l’ordinaire. Chateaureynaud n’est donc pas complètement fou, pas plus que son « roman-monde ». A moins que ce soit le nôtre, de monde, qui dérape.
Marine de Tilly.

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